La décennie qui vient de s’écouler a été assez éprouvante pour les créanciers du Gabon, qui, ne trouvant gain de cause se sont tournés vers la justice française. C’est le cas de Kontinental Conseil Ingénierie (dit KCI) et le groupe Sericom. La dernière en cours est le groupe maltais Webcor ITP.
Le 25 mai dernier, la cour d’appel de Paris a annulé l’arbitrage qui accordait près de 120 millions d’euros de dédommagements à la société maltaise Webcor ITP.
Rappel des faits:
Webcor ITP est une société basée à Malte, qui à ce jour est sans activité connue. Elle a été enregistrée au registre du commerce de Libreville le 07 janvier 2011, sous le numéro 716.
En 2009, Webcor a été retenu pour construire et opérer le « Grand marché de Libreville », une structure destinée à remplacer l’actuel marché Mont-Bouët.
Le 12 juin 2012, Monsieur Jean-François Ntoutoume Emane, Maire de Libreville en exercice à cette période, avait signé un contrat cadre pour la construction et l’exploitation du Grand Marché de Libreville avec la société Webcor ITP Limited.
A cet effet, plusieurs documents légaux ont été établis; à savoir :
• un contrat-cadre conclu le 12 juin 2010 entre la Commune de Libreville, représentée par Monsieur Jean-François Ntoutoume Emane, et la société Webcor ITP ;
• un bail emphytéotique de 60 ans conclu le 19 avril 2011 entre la Commune de Libreville et la société Grand Marché de Libreville, dont M. Jean François Ntoutoume Emane était l’un des administrateur à titre personnel ;
• une convention portant avantages fiscaux et douaniers en vue de la construction et de l’exploitation du grand marché de Libreville signée 16 novembre 2012 avec la société Grand Marché de Libreville.
Le conflit intervient lorsque les travaux, très préliminaires, se sont cependant arrêtés au bout de cinq ans; pour cause, la société conteste le retrait des avantages fiscaux et douaniers qui lui avaient été accordés à la signature du contrat par le maire de Libreville Jean-François Ntoutoume Emane.
A la suite de la décision de reconfigurer le projet, Webcor ITP et la société Grand Marché de Libreville ont introduit une procédure d’arbitrage devant la CCI de Paris et demandaient une indemnisation de plus de 690 milliards FCFA.
Le désaccord s’est très vite retrouvé sur la table de la Justice et Webcor a saisi la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale qui a rendu trois ans plus tard une décision attribuant d’importantes compensations au groupe, soit 91 millions d’euros assortis de pénalités de retard, soit près de 120 millions d’euros au total.
Le Gabon a contesté cette décision d’arbitrage devant la Cour d’appel de Paris. L’Etat a invoqué le fait que Webcor avait obtenu son marché, et tout particulièrement le très avantageux régime d’exemption, à la suite d’un pacte de corruption » avec Jean-François Ntoutoume Emane. En effet, ce dernier, lui-même administrateur de la société « Grand Marché de Libreville », filiale gabonaise de Webcor chargée des travaux, s’est vu offrir son voyage de noces tout frais payés par Webcor, du billet d’avion aller-retour entre Libreville et Le Cap, au séjour « lune de miel dans une suite à l’hôtel Twelve Apostles de cette ville.
Suite à ces nouveaux éléments, le verdict rendu par la Chambre de Commerce International de Paris dans le cadre de la plainte contre la République Gabonaise a changé.
Dans son arrêt du 25 mai 2021, la Cour d’Appel de Paris a indiqué en substance que « En l’état de l’ensemble de ces éléments, dont le tribunal arbitral n’avait pas connaissance au jour de la sentence, la sentence rendue le 21 juin 2018, ne peut entrer dans l’ordre juridique français alors qu’en indemnisant les sociétés Webcor ITP et GML du préjudice qu’elles auraient subis a en réparation des pertes causées et du gain manqué par l’effet de la résiliation unilatérale des trois conventions précitées, la reconnaissance ou l’exécution en France de cette sentence permet à la société Webcor ITP et la société du GML de retirer les bénéfices du pacte corruptif de sorte qu’elle méconnaît la conception française de l’ordre public international. »
La Cour d’Appel de Paris a donc annulé la sentence arbitrale rendue par trois professeurs de droit en raison d’un pacte corruptif conclu entre Webcor ITP et l’ancien Maire de Libreville.
Incriminations :
• Faux et usage de faux : les documents présentés lors du procès par webcorp comporte de fausses signatures notamment celle du directeur général des marchés publics de l’époque.
• Corruption : la société Webcor ITP a pris en charge l’intégralité du voyage de noces en Afrique du Sud de M. Jean François Ntoutoume Emane, alors Maire de la Commune de Libreville à l’époque, et sa Femme ainsi qu’à sa suite (Alain Ntoutoume Ndong – aide de camp et Meviane NDONG – chef du protocole). Le cadeau comprend un Service VIP (paiement de l’hôtel – transfert en limousine vers le palace « Twelve Apostles Hotel & Spa » – package Lune de Miel).
• Conflit d’intérêt : Au sien de la société Webcor ITP, M. Jean francois Ntoutoume Emane est actionnaire et administrateur désigné. Un bail emphytéotique de 50 ans avait été signéde sa main, réalisant ainsi un conflit d’intérêt, en violation flagrante du Statut Général de la Fonction Publique (Article 42 alinéa 6, Article 43 alinéa 1 et 5, Article 44 alinéa 2 et 3, Article 66), du Code de Déontologie de la Fonction Publique (Articles 52, 53, 60 et 64) et du Statut Général des Fonctionnaires (Articles 17, 128 et 131 alinéa 1er) .
• Escroquerie : la société dont Jean-François Ntoutoume Emane était admnistrateur n’a jamais été en capacité de réaliser le chantier du Grand Marché de Libreville (aucun compte bancaire).
Ces avantages, détaillés à la barre par l’avocat du Gabon Georges Arama (KGA Avocats) ont remporté l’assentiment de la cour, qui a cassé l’arbitrage sur la base de ces éléments; et l’entreprise maltaise qui était défendue par Ana Atallah, de l’antenne parisienne du cabinet Reed Smith et également avocate de Sericom, a été condamné à verser la somme de 50 000 € au Gabon.