Le 2 avril dernier, lors du 55e anniversaire du parti démocratique gabonais (PDG), le chef de l’Etat a fait des confidences très touchantes que l’opposition a tenté de détourner pour créer la polémique. Surtout le président a évoqué ses « 5 ans d’absence ». Que faut-il en penser ? Notre rédaction a posé la question à un professeur en science politique de l’UOB, connu pour être l’un des observateurs les plus fins de la politique au Gabon. Ci-dessous l’interview.
Notre rédaction : Qu’a dit exactement le président de la République, quand il a parlé de « 5 ans d’absence » lors de ces confidences le 2 avril dernier à l’occasion du 55ème anniversaire du PDG ?
D’une part, les propos du président Ali Bongo Ondimba ont été dévoyés, détournés. Il n’a jamais dit qu’il n’avait pas dirigé le pays pendant 5 ans, comme certains le soutiennent. D’autre part, ses propos ont été totalement sortis de leur contexte. Quand il a évoqué ses « 5 ans d’absence », il parlait de ses tournées en province. Car ces cinq dernières années, Ali Bongo Ondimba était bien au Gabon et c’est bien lui, en dépit de toutes les rumeurs qui circulent, qui a dirigé le pays. Mais il était à Libreville, la capitale. Certes, s’il ne s’est pas rendu en province dans le courant de l’année 2019, c’est bien pour des raisons de santé. Il était encore à ce moment-là en phase de rééducation sur le plan physique. Mais de début 2020 à 2022, s’il ne l’a pas fait, c’est parce qu’il y a eu l’épidémie de Covid-19 et qu’il était interdit de circuler dans le pays. Dès que les barrières ont été levées, en mars 2022, quelques semaines après seulement, le chef de l’Etat a repris ses tournées en province en se rendant en avril dans l’Ogooué-Ivindo. Il s’est ensuite rendu dans le Haut-Ogooué (en juin), dans l’Ogooué-Maritime (en septembre), dans la Ngounié (en novembre), dans l’Ogooué-Lolo début avril 2023 et une semaine plus tard dans l’Ogooué-Maritime à nouveau. Il y a fort à parier que le rythme de cette tournée va s’accélérer dans les semaines à venir alors que le pays s’apprête à entrer en campagne pour les élections.
Notre rédaction : Il y a aussi les tournées à l’international…
Oui, vous avez raison. Le président Ali Bongo Ondimba a été très présent à l’international que ce soit au niveau sous-régional (avec le grand sommet de la CEEAC à Libreville en décembre 2022) ou au niveau mondial où il a été de tous les grands rendez-vous : AG de l’ONU, COP, Sommets Afrique-Etats Unis et Afrique-Union européenne. Sans compter ses déplacements bilatéraux (en Grande-Bretagne en vue et suite à l’accession du pays au Commonwealth, en France, aux Etats-Unis) et même en Afrique (Togo en décembre 2022, Guinée équatoriale en janvier 2023, etc). Tout cela sans compter les rendez-vous à la présidence, les dossiers à traiter, les décisions à prendre en particulier lors de la pandémie de Covid-19… La réalité, c’est que les 5 dernières années ont été pour Ali Bongo Ondimba, comme pour les autres chefs d’Etat, très chargées.
Bangando News : D’où est née cette polémique sur le fait que le président n’a prétendument pas dirigé le Gabon pendant cinq ans ?
Cette polémique n’a rien de spontanée. Elle a été suscitée par le collectif Appel à agir, un groupement d’opposants – non de citoyens comme ils se présentent de manière abusive ; pour preuve, la présence de Jean-Gaspard Ntoutoume Ayi ou encore Nicolas Nguema en son sein – et dont le fonds de commerce est la vacance du pouvoir. Un débat que ce collectif a échoué à imposer en 2019 et qu’il tente aujourd’hui de relancer.
Bangando News : Avec des chances d’y parvenir ?
Non. Comment pourrait-il réussir en 2023 ce qu’ils n’ont pu faire en 2019 au moment où la santé du président était l’objet de beaucoup d’interrogations, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ? C’est un débat dépassé.
Bangando News : En ce cas, pourquoi ressortir une telle polémique si elle est vouée à l’échec ?
C’est en réalité un cache-sexe. Ou, si vous préférez, un écran de fumée. Pendant que l’opposition s’échine sur cette question, cela permet de ne pas évoquer les vrais sujets qui la concernent : ses divisions et son incapacité à, sinon s’unir, au moins s’organiser face à la majorité. Mais cette stratégie à son revers. Ce que les Gabonais veulent entendre, ce sont des propositions concrètes sur leurs sujets de préoccupation quotidienne, et non des petites polémiques qui agitent quelques médias et les réseaux sociaux mais qui n’ont aucun effet sur le terrain, encore moins dans les urnes.
Bangando News : Vous avez évoqué la présence de Jean Gaspard Ntoutoume Ayi au sein d’Appel à agir. Mais il est aussi vice-président de l’UN ?
Tout à fait. C’est bien la preuve qu’Appel à agir n’est pas un collectif de citoyens, une émanation de la société civile comme il se présente. C’est, je dirais, une sorte de supplétif de l’opposition. Ou de béquille. Les partis d’opposition étant faibles, cette famille politique a pris l’habitude d’exprimer ses vues via les syndicats, des associations ou même des activistes. D’ailleurs, le fait que Jean Gaspard Ntoutoume Ayi a un pied dans l’UN et l’autre dans Appel à agir est symptomatique…
Bangando News : Vous pensez qu’il ne croit guère en l’UN ou en sa présidente Paulette Missambo ?
Vous devriez lui poser la question… (sourire) Ce que je constate simplement, c’est que Paulette Missambo n’est probablement pas la candidate la mieux placée dans la course pour le leadership de l’opposition. Peut-être M. Ntoutoume Ayi en a-t-il conscience ; peut-être joue-t-il la suite, ce qui expliquerait son implication au sein d’Appel à agir qui nuit à l’image citoyenne que tente de se donner le collectif.
Bangando News : Revenons à notre sujet. A qui pourrait profiter ce gendre de polémique ?
Avec cette polémique, Appel à agir attire la lumière sur lui au détriment des partis politiques et de leurs leaders au moment même où ceux-ci en ont le plus besoin car c’est véritablement maintenant que la course pour le leadership au sein de cette famille politique est lancée. Le président et sa majorité peuvent se frotter les mains car c’est un mauvais service que rend Appel à agir à l’opposition. Auraient-ils voulu tirer une balle dans le pied de le leur propre camp qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement. Au final, ce type de polémique hors sol, déconnectée des préoccupations quotidiennes, conforte l’opinion dans l’idée que l’opposition n’a pas grand-chose à leur dire et que beaucoup de ses animateurs sont moins des acteurs que des commentateurs de la vie politique.